A propos du remboursemnt, une question éthique et une atteinte au métier de psychologue
L'association des Psychologues freudiens se réjouit d'avoir participé, ce samedi 29 janvier, au FORUM de Convergence des psychologues en lutte. Ce forum, qui s'est tenu, à un rythme soutenu, de 9h30 à 18h, a été un grand succès. Environ 3000 personnes connectées - ou ayant visionné le lien You Tube de sa retransmission! C'était un moment exceptionnel de convergence de psychologues de tous horizons, réunis autour d'une lutte commune fondamentale : celle du respect de la pluralité de nos pratiques et du refus du dispositif Monpsysanté qui ubérise et précarise les soins psychiques.
Vous trouverez dans cette newsletter l'intervention de Solenne Albert qui représentait l'association des Psychologues freudiens lors de cette journée. Elle y souligne que ce qui fait convergence est l'éthique du praticien, qui accueille la souffrance, toujours singulière, d'un autre. La souffrance "recèle un dire" (J. Lacan), et c'est ce qu'escamote, que disqualifie le marché de la santé, en voulant standardiser l'intervention du psychologue, sans se soucier de cette singularité. Les intervenants de cette journée l'ont clamé haut et fort, en présence de représentants d'autres professions (justice, enseignement...).
Nous nous réjouissons également du soutien sans faille apporté par l'Ecole de la Cause freudienne à ce mouvement de Convergence des psychologues.
Vous trouverez également dans cette newsletter l'intervention de son directeur à cette journée du 29 janvier. Comme ce dernier le rappelle, au delà de la tonalité corporatiste qui pourrait, à tort, être retenue, il s'agit bien de l'éthique qui est en jeu. Pourquoi? Et qu'est ce qui fait l'irrésistibilité de cette convergence? Dans son intervention, un message d'espoir est passé : Les psychologues incarnent "un cadenas, dont on a pas encore trouvé la clé", cadenas qui résiste et qui protège la subjectivité de chaque Un qui souffre.
Nous vous souhaitons belle lecture de ces deux textes!
Et n'hésitez pas à visionner, faire circuler les lien Youtube de cette journée qui apportait un nouveau souffle pour les praticiens de la parole! (voir en fin de mail)
Pour le bureau, Solenne Albert, René Fiori
(Il est possible de s'inscrire à la newsletter sur le site : https://www.psychologuesfreudiens.org/)
intervention journée de convergence des psychologues en lutte samedi 29 janvier 2022
Solenne Albert
L’association des psychologues freudiens – que je représente aujourd’hui – s’associe pleinement à cette journée de convergence des psychologues en lutte. Cette proposition de projet de décret est une atteinte grave au métier de psychologue. Nous boycottons ce dispositif sur la base de ces cinq points :
Premier point : tout d’abord la durée de remboursement des séances
Huit séances seulement remboursées, cela est insuffisant – et ne correspond pas à notre travail ! Car la prise en charge de la souffrance psychique demande du temps. La sortie d’une dépression n’est pas une question de volonté du patient. Il n’est pas possible de prédire à l’avance le temps qu’il faudra : pour sortir d’un deuil, pour retrouver goût à la vie, pour s’extraire de ses angoisses. Cela nécessite un temps pour comprendre, un temps pour déchiffrer ce qui ne va pas. On ne soigne pas un mal être psychique comme on soignerait une jambe cassée. Il faut du temps pour que le patient découvre ce qui, en lui-même, a été impacté.
Cette proposition de remboursement de huit séances est inadmissible et ne correspond en rien à notre pratique – qui se fait toujours au cas par cas. Faire croire que l’on peut soigner en huit séances est mensonger. D’autre part, un protocole de soin, valable pour tous, et fixé à l’avance, va à l’encontre de notre code de déontologie – qui exige de prendre en compte, au un par un, la singularité de nos patients. Depuis la création du titre de psychologue, il est clairement stipulé, dans notre code de déontologie que : « La complexité des situations psychologiques s’oppose à l’application automatique de règles. »
Deuxième point : le protocole exigé par ce décret – qui implique que le patient passe par un médecin traitant, complexifie le processus d’accès au psychologue et infantilise nos pratiques. Nous ne sommes pas des paramédicaux.
L’obligation de passer par un médecin traitant transforme le recours au psychologue en véritable parcours du combattant pour le patient qui devra répéter, à plusieurs reprises, et à plusieurs interlocuteurs différents, les moments traumatiques et douloureux de son existence. Les patients n’ont pas à devoir justifier l’ampleur de leur mal être pour obtenir le droit à être remboursés. Le psychologue n’a jamais été prescrit – ni même adressé – sur ordonnance médicale. Il n’a pas à l’être. Notre formation universitaire solide nous confère une autonomie dans nos pratiques qui est inscrite au cœur de notre code de déontologie. Notre indépendance vis-à-vis du médical est aussi ce qui permet de garantir le respect du secret professionnel et la liberté de parler, indispensables dans une démocratie. Cela correspond au principe II du code de déontologie des psychologues : « Respect de la vie privée, du secret professionnel, de la confidentialité ».
Le protocole de soin proposé par l’état met en péril cette indépendance. Il met également en péril la possibilité du patient d’accéder au psychologue de son choix – ce qui est un point fondamental de notre code de déontologie : « Tout personne doit être informée de la possibilité de consulter directement la ou le psychologue de son choix. » Or, avec ce décret, cela deviendrait impossible puisque, dans l’article 1er du projet de décret est décrite très précisément « la sélection des psychologues » qui seront admis à faire partis du processus de remboursement. Le nombre de psychologues remboursés sera fixé annuellement par région et les patients souhaitant être remboursés ne pourront avoir recours qu’à cette petite liste de psychologues. Empêcher l’accès libre et direct du patient au psychologue de son choix n’est pas possible et nous nous y opposons fermement.
3ème point : la tarification imposée
Le décret stipule que « Les tarifs, les codes de facturation ainsi que les indications du bilan d’évaluation et des séances d’accompagnement sont fixés par arrêté. » Nous ne sommes pas d’accord avec cela. Bien sûr, nous disons OUI à un remboursement des séances mais à un tarif décent et pas sur prescription médicale. L’article 25 de notre code de déontologie prévoit que : « Le psychologue qui exerce en libéral détermine librement ses honoraires avec tact et mesure. »
4ème point – et c’est un point qui nous semble essentiel : l’accès au psychologue libre et gratuit, en France, existe déjà. Cela s’appelle des CMP.
Il est inconcevable d’entendre Mr le ministre de la santé dire que l’accès libre et gratuit au psychologue va être une grande première en France. C’est totalement faux. L’accès libre et gratuit au psychologue en France existe depuis les années 60 – il se fait dans les CMP. Les centres médico-psychologiques sont des lieux de soins qui accueillent et prennent en charge la souffrance psychique, ils font partis de l’hôpital psychiatrique. Celui-ci a été démantelé depuis des décennies. Il est urgent de redonner à la psychiatrie les véritables moyens financiers et humains dont elle a besoin afin de prendre dignement en charge ses patients. Aujourd’hui, pour une première consultation en pédopsychiatrie, les délais varient de un an à trois ans. C’est à l’hôpital psychiatrique, dans les CMP, qu’il est urgent de recruter des psychologues !
Car il n’est pas possible d’accueillir, seul, en libéral les patients que la psychiatrie n’a pas les moyens de prendre en charge. Ceux-ci nécessitent un étayage de soins sur du long terme et par une équipe pluri-professionnelle.
Lorsque j’ai commencé à travailler en psychiatrie, il y a quinze ans, l’hôpital de jour dans lequel j’intervenais accueillait les patients sur une durée indéterminée. Certains patients y trouvaient un lien social vital qui leur donnait une place dans la société – leur permettait de retrouver un sens à leur vie. Ce lien solide – à durée indéterminée – les stabilisait. Aujourd’hui, les prises en charge se font pour une durée de deux ans maximum. Deux ans, ce n’est pas beaucoup… alors huit séances… c’est de la poudre aux yeux qui masque mal l’idéologie de rentabilité économique et les rêves qu’elle concentre : rêver de mettre au pas, sur pieds, au travail, le plus rapidement possible, des individus mis à mal par l’époque que nous traversons.
Or, le véritable enjeu majeur de société est de repenser l’offre de soin – développer les postes de psychologues au sein des services publics : CMP, unités d’hospitalisation… Cela permettrait de rétablir plus honnêtement le principe d’égalité des soins – puisque l’on sait que l’on ferme les structures de soins publics dans les régions de France les plus paupérisées. C’est cela qui est scandaleux.
Et enfin, 5ème point – Non à la création d’un ordre des psychologues
Enfin nous nous opposons à la proposition d’un Conseil de l’Ordre qui vise à uniformiser nos pratiques. Nos pratiques sont plurielles, variées – et la journée d’aujourd’hui en est la preuve – et nous tenons à cette pluralité des approches qui est une richesse et qui permet aux patients de choisir le type d’approche qui leur conviennent. Nous disons non au contrôle de nos outils. Et oui à une pluralité clinique et théorique.
Intervention le 29 janvier 2022 – Convergence des psychologues en lutte
Eric Zuliani
Je remercie Roland Gori et Stefan Chedri de l’invitation faite à l’ECF de participer à cette convergence à laquelle l’ECF a répondu par son soutien à ce mouvement.
Durant ces dernières années plusieurs expérimentations de dispositifs impliquant la fonction de psychologue, et plus récemment des amendements et décrets gouvernementaux déjà en place ou à venir, visent à réorganiser le champ psy et plus particulièrement l’exercice de la psychologie. En septembre dernier, les choses se sont accélérées avec l’examen par le parlement de la Loi de financement de la sécurité sociale. On y découvre, entre autres, un glissement des soins psychiques du secteur public et associatif au secteur libéral, annoncé comme un accès libre et gratuit pour tous aux soins psychiques : ça ne mange pas de pain ! Ces grandes manœuvres sans ambition, que ponctuait notre Forum de mai dernier Psychologues : arrêtons l’arrêté, sont sous-tendues par une conception où domine la thèse Neuro. Moyennant quoi, les psychologues sont sommés de rentrer au bercail de la médecine où l’attendent les psychiatres qui ont franchi ce pas depuis longtemps. Mais à cette invitation s’oppose un refus, un dire que non : pour l’instant encore un peu diffus mais que cette convergence peut aider à cristalliser.
L’École de la Cause freudienne, association de psychanalystes, soutient cette convergence, pour la raison que la psychanalyse d’orientation lacanienne a toujours pris ses responsabilités, dans un champ où les pratiques se vouent aux plus précaires de notre société. Les pratiques de parole, ses dimensions relationnelle et sociale, y sont actuellement délibérément écartées, au profit de traitements courts qui conviennent au marché de la santé, où le ternaire évaluation/diagnostic/méthode qui n’a rien de « psy », y joue un rôle purement économique. Pour rappel et en guise de clin d’œil à l’actualité, ce ternaire reconfigura, il y a quelques années, grâce à la grille AGGIR, la prise en charge des personnes âgées. Dans cette logique, les institutions des secteurs de la santé mentale et du médicosocial, dans une visée de désinstitutionnalisation recommandée par l’ONU en matière d’accueil du handicap, au nom de l’inclusion à tout crin, ne se sont pas vu dotées de moyens supplémentaires. Rarement on aura vu la déstructuration d’un champ relevant de la santé si vivement menée au pas de charge, à coup de lois, d’amendements et d’arrêtés, et où chambres des députés, Conseil économique social et environnemental, et instances administratives type ARS ont agi de concert, sans dialogue avec les différents partenaires.
La fonction de psychologue se trouve être au nœud de ces différentes offensives, incarnant une sorte de cadenas dont on n’a pas encore tout à fait trouvé la clé, si l’on en juge par le nombre de personnes réunies ce jour. C’est parce que les psychologues, toutes orientations confondues, pourvu qu’ils aient une pratique, incarnent, qu’ils le sachent ou pas, une défense du précieux que représente la rencontre avec un qui souffre. Ce refus est donc plus éthique que corporatiste. Ce cadenas résiste là où l’on veut imposer aux praticiens libéraux des traitements sous le contrôle de la médecine, évacuant toute dimension d’autonomie acquise pourtant à travers leur titre unique et les diplômes afférents. En libéral, et bientôt en institution, la profession de psychologue subit une même mise au pas : prescription médicale des séances, listes de psys, sélection des praticiens et projet de création d’un ordre de la profession, minutage du temps de la séance et nombre limité de celles-ci, glissement du terme de « psychothérapie » vers celui d’« accompagnement psychologique », clivage des praticiens entre ceux qui seront conventionnés et les autres pas, volonté d’inscrire la pratique psychologique dans le parcours de soin. Faut-il ajouter à ces offensives et l’y conjoindre, celle de la plate-forme de prise de rendez-vous au quasi-monopole qui, à sa manière, met aussi la profession au pas ? Face à la rapidité d’exécution de ce plan, due aux dispositifs expérimentaux de fait qui, sans avoir été évalués, inscrivent leur effectivité dans le droit, les organisations syndicales représentatives sont rejointes par différents collectifs, le principe de remboursement étant acté pour la plupart.
Aussi, le refus de la paramédicalisation, l’attachement des psychologues à l’autonomie de leur profession au nom d’une éthique, trouvent un large consensus qui permet d’envisager, à ce jour, une action concrète : le boycott de ces dispositifs afin que l’utilité sociale des psychologues continue d’œuvrer à la respiration démocratique.
L’École de la Cause freudienne a toujours su faire reconnaître et préserver ce bien public si précieux que sont les pratiques de parole, le libre choix du praticien, l’autonomie et la spécificité de la causalité psychique des souffrances subjectives isolée par Freud puis Lacan, le temps qu’il faut, et des institutions comme refuges pour les sujets les plus fragiles. L’utilité social du discours analytique a toujours été la référence de ces pratiques de parole, et l’opinion éclairée sait parfaitement ce qu’elles ont d’essentiel.
L’École de la Cause freudienne forme depuis 40 ans, des praticiens qu’un patient peut rencontrer dans une institution ou un cabinet, dans le moindre endroit de notre territoire. Ils sont orientés par leur propre analyse et le contrôle de leur pratique, rompus au savoir le plus actuel issu de la clinique et des savoirs qui s’en élaborent, soucieux d’une éthique qui ne se satisfait pas du degré zéro de l’exigence que recèle la direction actuelle donnée à la prise en charge des souffrances psychiques.
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